Description
Résumé :
Après Jules Renard Léautaud Gide et Claudel c est à Paul Morand d entrer dans la caste des grands diaristes contemporains avec les trente-deux cahiers de ce Journal inutile écrit entre 1968 date de sa seconde et victorieuse candidature à l Académie française (de Gaulle avait annulé la première) et sa mort en 1976. Le diplomate dandy des années vingt et trente ami de Proust a cédé la place dans ce Journal à un sportsman vétéran en deuil de l Europe. C est d un journal après-coup qu il s agit une longue et amère méditation sur la France post-gaullienne. Étranger mais attentif au changement du décor social et intellectuel il y jette un œil las et blasé se regarde vieillir ainsi que ses proches pallie le désenchantement par une fringale de lectures et de souvenirs évoqués entre soi fréquente des lieux qui ne sont pour lui que des cadres vides qu il emplit de souvenirs d impressions fugaces. Face à un monde qu il réfute à un corps qui vieillit Morand se dope aux souvenirs qui sont les grands moments du Journal. Les évocations de Proust Montherlant Claudel Chardonne sont les fils rouges qui courent dans ces deux forts volumes (voir volume 1) grevés néanmoins par certaines saillies antisémites et homophobes. Reste le style Morand : la prose souple et exacte lyrique et concise de celui selon Céline qui faisait jazzer la langue. Il n intéressera personne ne sera pas lu… déclarait Morand. Pas sûr. Un inédit capital pour l intelligence de la sensibilité littéraire française contemporaine. –François Angelier
24 juillet 1972 Il n intéressera personne ne sera pas lu desservira ma mémoire et n expliquera rien même pas moi-même. 23 août 1972 Si on relit jamais ces notes on remarquera le lâché du style les négligences les incorrections quelle différence avec le lissé la taille la perfection le réfléchi de la moindre phrase de Gide. A peine un éclair de pensée et je passe ailleurs… ou à rien hâte et paresse. 14 décembre 1973 Je ne tiens pas du tout à ce que ces notes ce journal inutile soient publiées. Mais s ils doivent l être que ce ne soit pas avant l an 2000. Je ne m intéresse pas à mes contemporains mais je pense beaucoup à ceux qui suivront je les aime. 5 juin 1974 Je n ai que des riens à transmettre : d où ce titre de journal inutile ces riens je les offre à l an 2000 avec tout l amour que j ai gardé à ceux qui m ont transmis quelque chose. 19 mars 1975 J écris tout ceci depuis des années sans jamais me relire me corriger revenir en arrière par hâte et paresse : je viens de le faire tout à coup exceptionnellement : épouvanté par la mauvaise écriture illisible la pensée sans fermeté l absence de concentration et de choix. Ma paresse ma faiblesse resteront souveraines je le sens quelque désir que j aie de m amender.
Ce journal couvre les dernières années de la vie de Paul Morand de juin 1968 à avril 1976 : trente-deux cahiers manuscrits déposés par lui à la Bibliothèque Nationale et un dernier cahier inachevé. Suivant les volontés de l auteur leur contenu ne devait être ni consulté ni publié avant l année 2000. Il entendait ainsi les mettre à l abri des indiscrétions et commentaires de ses contemporains. Ces notes rédigées au fil des jours sans se relire ni se corriger mêlent rencontres propos rapportés réflexions personnelles sur les événements actuels et évocations du passé lectures et voyages. Écrit tantôt au feutre tantôt au Bic tantôt au stylo ou au crayon accompagné de feuilles volantes de pages arrachées à des carnets de photographies de coupures de journaux de lettres épinglées (certaines d époques diverses sont réunies dans les Annexes du tome II où figure également un index général) ce Journal se présente comme une oeuvre qui n est pas si éloignée des collages des peintres. Il comporte même quelques petits dessins manuscrits des dizaines de cartes postales et de papiers d hôtels à en-tête de tous les pays du monde. Cosmopolite comme son auteur révélant comme lui-même l écrit son envie jusqu à la fin d être ailleurs.
L intérêt du Journal n est pas dans ses vitupérations contre l air du temps. Celui de Morand semble s être brutalement arrêté du côté de Vichy en 1942. Spectaculaire phénomène de vitrification. Trente ans plus tard Morand soulève son couvercle et rien n a changé : c est l Hôtel du Parc reconstitué à l état pur si l on peut dire. Les bruits les odeurs les discours les sentiments la valse-hésitation au bord du gouffre comme si vous y étiez. Le complot juif la décadence anglaise les gaullistes vendus aux bolcheviques la haine de la pensée la hantise du Front populaire l insuffisance de l hitlérisme : Hitler a été aveuglé par le nationalisme en homme du XIXe. II a attaqué des nations et il a trouvé devant lui des Internationales : la juive (Anglo-saxons) et la communiste (les Russes). On peut vaincre des nations localisées on est désarmé devant l ubiquité des Internationales. C est écrit le 2 juillet 1969 par un professionnel des Affaires étrangères ancien ambassadeur de France … Le style il en est toujours question dans le Journal inutile. Morand remplit les pages de ses carnets de citations qui ont du style. Il accumule les mots comme d autres achètent des actions..
Avis
Il n’y a pas encore d’avis.